L'atteinte à la réserve n'est pas un critère d'appréciation du caractère exagéré des primes versées

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Une femme âgée de 73 ans adhère en 2009 à un contrat d'assurance-vie et désigne en qualité de bénéficiaire la Ligue nationale contre le cancer. Elle effectue de 2009 à 2011 cinq versements pour un montant total de près de 275 000 €. À son décès en 2019, elle laisse pour lui succéder sa fille, qui demande la réduction d'une partie des primes et la réintégration de la somme correspondante dans la succession.

La cour d'appel lui donne gain de cause. Elle énonce qu'en présence de primes ayant bénéficié à un tiers à la succession, il convient de vérifier si les versements ont porté atteinte à la réserve héréditaire, puis juge que le dernier versement de 130 000 € :

  • a conduit à placer la quasi-totalité du patrimoine de la souscriptrice sur un unique contrat d'assurance-vie, alors que l'intéressée ne pouvait ignorer qu'en agissant ainsi elle privait sa fille d'une part très importante de sa succession ;
  • a eu pour conséquence de priver la fille de sa réserve héréditaire qui, compte tenu d'un actif successoral total de 300 000 €, se serait théoriquement élevée à 150 000 € ;
  • apparaît ainsi manifestement exagéré au regard de la situation familiale et patrimoniale de la souscriptrice, quelle qu'ait pu être l'utilité du placement pour celle-ci.

La Cour de cassation censure la décision. En retenant que le versement litigieux avait porté atteinte à la réserve héréditaire, la cour d'appel s'est fondée sur un critère étranger à l'appréciation du caractère manifestement exagéré des primes versées. En effet, comme le rappelle la Haute Juridiction, un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité du contrat pour celui-ci.

À noter

Les primes versées sur un contrat d'assurance-vie ne sont soumises aux règles du rapport et de la réduction que si elles ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur (C. ass. art. L  132‑13). Dans un premier temps, il appartient aux juges du fond d'analyser les primes versées au regard des critères d'exagération définis par la Cour de cassation et constamment rappelés depuis, à savoir l'âge du souscripteur, ses situations patrimoniale et familiale et l'utilité du contrat pour lui. Les juges apprécient souverainement l'existence de l'exagération à la date du versement de la prime mais doivent limiter leur approche à ces critères susvisés. Ils ne peuvent donc pas se référer, entre autres, au montant de la quotité disponible, à l'intention du souscripteur d'échapper aux règles du droit successoral ou encore à la volonté du souscripteur de faire échapper la somme à sa succession et d'éluder la réserve héréditaire.

Ce n'est que dans un second temps, une fois l'exagération de la prime caractérisée, qu'il appartient aux juges d'appliquer les règles du rapport et de la réduction. Dans l'affaire ici commentée, la cour d'appel a sauté une étape dans le raisonnement en vérifiant l'atteinte à la réserve pour apprécier le caractère exagéré des primes versées, ce qui conduisait inévitablement à la cassation de l'arrêt.

 

Cass. 2e civ. 19-12-2024 n° 23-19.110

© Lefebvre Dalloz

 

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